Dans l’édition du 22 mai du « Soir », une carte blanche de Michel Van Koninckxloo et Martine Gadenne titre « OGM : les manipulateurs vont-ils gagner la partie en Wallonie ? ». Cet article, paraissant conjointement à la Journée mondiale de la biodiversité, est loin d’être innocent. On y retrouve les grands principes de l’argumentation pro-OGM : l’amalgame (assimilant les espèces transgéniques aux espèces hybrides), le raccourci méprisant pour discréditer le contradicteur (traité ici de « manipulateur » et soupçonné de « désinformation organisée »), le syllogisme (« heureusement qu’on n’a pas renoncé, sous le couvert du principe de précaution, à la roue, à la vapeur et à l’électricité »), le mensonge par omission (« tous les maïs cultivés chez nous sont des hybrides issus des progrès de la génétique » qui oublie de dire que le maïs est une plante tropicale qui n’est cultivé chez nous que pour répondre aux objectifs commerciaux américains du Plan Marshall de 1947), voire le mensonge tout court (« les agriculteurs doivent racheter des semences chaque année aux multinationales semencières » - les bio-agriculteurs apprécieront !) etc.
Ce texte est à montrer dans les écoles de communication comme un archétype de manipulation sémantique. Il prétend rétablir la vérité face au « protectionnisme rampant », « populiste » et « irrationnel » de nos ministres, jugées « dangereuses et dramatiques pour les progrès de la science ». Comme disait fort justement Talleyrand, « tout ce qui est excessif est insignifiant ». Ceci pourrait s’appliquer aux signataires de ce texte, qui ont comme point commun – il ne faut pas chercher bien loin pour le découvrir - d’être collègues au sein du Centre pour l’Agronomie et l’Agro-industrie de la Province de Hainaut (CARAH), dont les recherches sont notamment rendues possibles, ô surprise, par les besoins des multinationales semencières fortunées à la recherche d’études « impartiales ».
Les thèmes récurrents utilisés par les marchands d’OGM sont bien connus et ont été largement analysés. La ficelle de ce genre de document lobbyiste est de plaquer pêle-mêle des lieux communs éculés. Cela fait longtemps que l’industrie semencière a bétonné ses argumentaires « humanistes » et environnementaux, plaçant habilement le débat sur le terrain très médiatique du progrès et de l’innocuité – mettant en avant les études qui lui conviennent et cachant pudiquement les autres (contrevenant ainsi à la loi). Ainsi peut-elle affirmer sans rire, via ses « faux-nez » comme l’association ORAMA en France ou d’éminents chercheurs qui se reconnaîtront, que les OGM améliorent la qualité et la sécurité des aliments. Objectif de la manoeuvre : éviter d’aborder le sujet qui fâche et qui dérange, celui du brevet sur le vivant.
Depuis la nuit des temps, l’agriculture a permis au paysan de garder une partie de sa récolte pour les semis à venir. La culture d’OGM en plein champ sonne le glas de cette liberté plurimillénaire ; une fois contaminée par un pollen « breveté », la plante intègre ce gène dans sa descendance et tombe irrémédiablement sous le coup de la « propriété industrielle » du titulaire du brevet en question. Que le cultivateur le veuille ou non. Plusieurs procès retentissants, au Canada notamment, ont conduit à leur perte des agriculteurs qui n’avaient rien demandé et chez qui les « flics » privés de Monsanto et consorts ont retrouvé des traces de leurs chères plantes brevetées. Les OGM au secours de la faim dans le monde ? La bonne blague : ce qu’en dit G.-E. Séralini, expert en OGM pour le gouvernement français et l’UE (Libé, 21/3/06) en atteste à suffisance: « Après 10 ans d’existence, ils nourrissent les vaches des pays riches, pas les enfants des pays pauvres ». Sûrement la faute aux « manipulateurs protectionnistes » du Darfour ! Quant au législateur européen, il se moque ouvertement du monde : tolérer (au nom de la dissémination « fortuite ») 0,9% d’OGM dans les produits labellisés « bio » est une pantalonnade scandaleuse, qui vise, selon les termes de Jean-Pierre Berlan, directeur des recherches de l’INRA (peu suspect d’agit’prop’), à « euthanasier l’agriculture biologique, dont le seul tort est d’utiliser la gratuité de la nature plutôt que les pétro-impétrants ruineux pour les humains, les sols, l’eau, bref, notre milieu de vie. » (Le Canard enchaîné, 22/3/06). La culture d’OGM en plein champ sonne le glas de l’agriculture biologique et de la liberté de chacun de conserver des graines comme patrimoine naturel.
Il convient de bien mesurer l’enjeu, qui dépasse très largement la notion de territoire. Comme la radioactivité, le pollen ignore les frontières. Les cultures vivrières traditionnelles pourraient, sur un simple coup de vent, se voir contaminées et les millions de petits agriculteurs des pays du Sud, dont c’est la seule « richesse », obligés de payer ad vitam aeternam des royalties aux riches mammouths de l’agrobusiness – tout ça parce que les agriculteurs productivistes du Nord veulent augmenter leurs rendements. Et qu’on ne vienne pas dire que les OGM ne se propagent pas : un gène de canola transgénique utilisé au Canada a été retrouvé au Japon, où cette variété voisine du colza n’a jamais été cultivée. Le problème est le même que pour les espèces invasives, sauf que celles-là ne sont pas brevetées.
La malhonnêteté intellectuelle des semenciers et leur puissant lobbying (voir l’exemple de la « loi OGM » française en cours de ratification après une longue « préparation » des sénateurs-clés), cautionnés par d’éminents scientifiques dont ils financent parfois les recherches, ont bien entendu leurs motivations : un marché captif de l’alimentation mondiale, quel actionnaire n’en rêverait ? Alors, ne nous trompons pas de débat. Il est clair que les OGM sont déjà dans notre assiette et que personne n’en est mort. C’est comme l’amiante ou l’ESB : une possible bombe à retardement. On ne sait pas encore ce que ça fait à la santé. Par contre, offrir sur un plateau l’exclusivité de l’agriculture universelle aux multinationales cupides, ça, on en mesure parfaitement le risque. CQFD.
26 mai 2008
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