En pleine visite d’Elisabeth II en Belgique, c’est d’Angleterre que vient le coup de Jarnac donné à Hergé - l’année même où l’on commémore, à grands renforts de médiatisation tintinolâtre, le centenaire de la naissance de l’ancien dessinateur du « Petit Vingtième ». La chaîne de librairies Borders, au Royaume-Uni, a relégué l’album "Tintin au Congo" dans les rayons de BD pour adultes, suite à une plainte d’un lecteur pour racisme. Le plaignant, un avocat nommé David Enright, a déclaré que ce livre cristallisait les stéréotypes racistes, suggérant que « les Africains étaient des sous-humains, des imbéciles à demi-sauvages ». La belle unanimité dithyrambique qui préside aux célébrations du centenaire d’Hergé s’en trouve écornée et les rares voix qui osent aujourd’hui rappeler le passé sulfureux de Georges Rémy, retrouvent l’espoir d’une vision plus objective du « message » parfois subliminal porté par Tintin.
Grâce au « Soir volé »
Peut-être est-il bon de rappeler que Hergé a grandi dans la mouvance de la droite catholique, sérieusement ébranlée par la Révolution soviétique de 1917, la guerre d’Espagne ou le Front populaire en France. Dans ce milieu ultraconservateur, la «peur du rouge» est omniprésente et justifie des prises de position fermes. Dans son parcours éducationnel, Hergé côtoie des personnalités de l’extrême droite religieuse et culturelle : l’abbé Wallez, éditeur du «Petit Vingtième» dont Hergé sera le rédacteur en chef, Paul Jamin qui, sous le pseudonyme de «Jam», signera les caricatures antipolitiques et antisémites parues dans «Le Pays réel», l’organe du parti fasciste belge Rex, sans oublier le patron de Rex, Léon Degrelle en personne. Certes, jamais Hergé de sera membre de Rex. De fait, il ne se préoccupait guère de politique. Mais quelle est la limite entre politique et civisme ? Sous l’occupation, le jeune dessinateur va grimper les marches du succès et assouvir son ambition grâce, notamment, à la publication de ses dessins dans «Le Soir volé». Le journal bruxellois «Le Soir» est mis par l'occupant sous la tutelle de Raymond De Becker ; issu de la démocratie chrétienne, celui-ci s'était converti au national-socialisme; il était l'homme de la situation pour les Allemands. Ironiquement, c’est à cette époque que « Le Soir » connaît le plus fort tirage de son histoire… Ce dont ne manquera pas de profiter Hergé, qui va fidéliser son lectorat grâce à ce succès médiatique.
Racisme assumé
On fera remarquer que ses dessins n’ont aucune connotation politique. Ceci est discutable, puisque ses dessins ont pour effet (pour but?) d'attirer les jeunes à absorber la propagande distillée dans les pages du journal volé. Et si l'on prend l'exemple de l'aventure de Tintin parue en 1942, «L’Etoile mystérieuse», la touche antisémite et anti-américaine est très marquée et assumée sans complexe. En témoigne le businessmen new-yorkais véreux Blumenstein, au nez crochu, aux lèvres épaisses et au regard fuyant… Et cela, au moment même où les rafles et la déportation des Juifs vers Auschwitz battait son plein. Jamais Hergé n’estimera avoir été un « collabo ». Pour lui, aller au journal sous l’occupant revenait au même que, pour l’ouvrier, retourner travailler chaque matin à l’usine. Peut-être qu’une once d’autocritique ne lui aurait pas fait de tort. Au lieu de cela, il a choisi de nier l’évidence, et avec lui, ses héritiers, ses ayants droit et ses innombrables thuriféraires.
L’histoire repasse les plats
La « Queen » Elisabeth n’aura pas manqué de savourer l’incident « tintinoclaste » survenu dans son Royaume à l’heure où elle déjeunait au Palais de Laeken ; et en digne souveraine de la perfide Albion, elle aura sûrement pensé que definitely, on n’est jamais trahi que par les siens : n’est-elle pas la descendante de Victoria, nièce de Léopold de Saxe-Cobourg, premier Roi des Belges par la grâce de l’Angleterre et qui s’allia par mariage avec la Maison de Prusse ?
15 juillet 2007
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